Le carnaval en Martinique, et dans le reste des Antilles d’ailleurs, est l’évènement culturel majeur de l’année. Il dure plusieurs semaines, on s’y prépare plusieurs mois à l’avance et les conséquences de ses débordements peuvent survenir 9 mois plus tard…
Au carnaval, tout est permis!! Les corps se dénudent, les hommes deviennent femmes et inversement, générations et populations se mêlent dans les rues pour faire LA FETE au son de l’enivrante musique antillaise.
Ici, la tradition du carnaval ne s’est pas perdue, inversion des rôles, inversion des genres, satyre sont au coeur des festivités. La dérision et la farce sont à l’honneur. On danse, on rit, on se grime, on se pare de ses plus beaux atours. Pas de limite à cette fête débridée!! On se libère des contraintes, on se défoule; les codes sont renversés pour une grande célébration populaire.
Au milieu d’un feu d’artifice de couleurs, on parodie les stéréotypes de genre, on critique les politiques, on interpelle sur le développement durable ou la récupération des déchets. Chacun rivalise de créativité pour se parer ou transmettre un message.
Le carnaval dure deux mois mais atteint son paroxysme lors des « jours gras » (fin février-début mars selon les année). Il débute après l’Épiphanie, le premier dimanche de janvier et se termine le Mercredi des Cendres avec la mort du roi du carnaval, Vaval.
Pour comprendre la frénésie du carnaval, il faut savoir qu’elle précède le carême, une période de jeûne et d’abstinence de quarante jours que le catholicisme a instituée au IVe siècle en référence aux quarante jours de jeûne de Jésus-Christ dans le désert. Le carême se termine par une période de jeûne et de célébrations plus intenses, la Semaine Sainte. Il s’agit traditionnellement d’un temps de préparation à la commémoration de la Passion et de la Résurrection du Christ.
Naissance du carnaval aux Antilles
Le carnaval antillais est apparu lorsque les colons débarquèrent en Martinique et en Guadeloupe au XVIIe siècle. Cette tradition païenne européenne voulait que les catholiques fassent la fête avant les restrictions du Carême.
Au début de l’esclavage, les esclaves n’avaient pas le droit de participer à ces réjouissances carnavalesques. Ils ne pouvaient que regarder au loin, les colons s’amuser lors des réceptions masquées se déroulant dans les habitations. Au fil des années, les esclaves décidèrent d’imiter leurs maîtres en se recevant dans leur quartier et en y intégrant leur culture (masques, chants, danses, couleurs…), leurs croyances et leurs instruments de musique (tambour, ti-bois, cha-cha…). Bien entendu, ce moment de liberté était accordé par le maître qui acceptait que ses esclaves réalisent des cortèges et défilés musicaux à l’intérieur de la propriété. Jusqu’à l’abolition de l’esclavage, il était interdit aux esclaves de défiler à l’extérieur de la propriété de son maître.
Pour les colons, le carnaval était un moyen de mieux préparer l’abstinence du Carême ; pour les esclaves, il s’agissait d’une période permettant de se réapproprier leurs coutumes africaines sans contrainte.
Tout au long du XVIIIe siècle, le carnaval a subi des interdictions, ce n’est qu’à l’abolition de l’esclavage, que celui-ci connut son heure de gloire. Les anciens esclaves pouvaient défiler dans les rues et chanter des chansons sarcastiques sur ceux qui les gouvernaient.
En 1898, une décision fixe les congés des jours gras : dimanche gras, Lundi Gras et Mardi Gras. Ces trois jours étaient considérés comme le carnaval des riches, offrant un véritable spectacle coloré, totalement différent des déchaînements populaires.
Le carnaval devint un phénomène apprécié de tous où la diversité ne formait plus qu’une unité. Aujourd’hui, le carnaval des Antilles est un carnaval débridé et improvisé, mais qui sait garder ses traditions. N’ayez pas peur de voir et d’entendre des obscénités, c’est cette spontanéité qui fait la renommée du carnaval antillais.
Fortement imprégné dans les cultures locales, c’est chaque année l’occasion pour la population de se réunir et de se défouler avant le carême où paradent chars, musiciens, danseurs et travestis, personnages satiriques ou traditionnels
Les personnages traditionnels du carnaval
Lors du carnaval, vous rencontrerez de nombreux personnages inspirés de l’Afrique, de l’Europe et de l’esclavage.
- Le roi Vaval
Le carnaval chrétien a un roi des fous, qui est sacrifié avant le Carême. Le carnaval antillais qui a des influences européennes, africaines et amérindiennes, n’échappe pas à la règle ; et possède, lui aussi, un roi présenté sous la forme d’un mannequin qui défile dans toute la ville.
Chaque année, un nouveau roi Vaval est créé à l’effigie d’une thématique environnementale, sociale ou politique. Il est présent tout le long du carnaval jusqu’au Mercredi des Cendres, où il est brûlé sur la place publique.
- Les Neg marron ou Neg gwo siwo : hommes et femmes vêtus d’un pagne, ayant la totalité du corps recouvert de mélasse (sirop de batterie mélangé à de la suie). Ils font référence aux nègres marrons, les esclaves fugitifs qui se cachaient dans les forêts pour échapper aux esclavagistes.
- Marian’ Lapofig : héritage de l’Afrique ancestrale, ce personnage traditionnel de la Martinique, est recouvert de feuilles de bananier séchées et tournoie au rythme des ti-bwa, en faisant chanter son feuillage.
- Caroline Zié Loli : personnage typiquement martiniquais, Caroline serait née de la véritable histoire d’une jeune femme qui ne fut pas gâtée par la nature, mais qui aurait réussi à se marier. Malheureusement, son ivrogne de mari ne trouvant que rarement le chemin de chez lui, elle devait le récupérer en pleine campagne et le porter pour le ramener à la maison.
- Les souffleurs de conque : dans une conque de lambi. À l’époque les hommes soufflaient dedans pour communiquer les décès dans le bourg ou une catastrophe naturelle.
- Les malpwops (malpropres): personnages incontournables des jours gras, porte-paroles des jeux de mots, d’insanités, de blagues ou de pastiches de revendications sociales et politiques, souvent habillés de dessous féminins ou en tenues très sexy. Au départ, ils étaient présents lors des défilés du lundi gras (les mariages burlesques), mais depuis quelques années ils apparaissent tout au long du carnaval. Certains portent sur eux des pancartes ou photos au message très suggestif.
Les jours gras, l’apothéose du carnaval
L’organisation du carnaval aux Antilles-Guyane est un rituel qui suit un ordre bien déterminé…
- Samedi gras: le jour de sortie des reines du carnaval, ainsi que du carnaval des enfants.
- Dimanche gras : fête multicolore. Jour de présentation de Vaval.
Le roi Vaval est de sortie et parade avec les autres groupes. A ses côtés défilent les reines du carnaval.
Des chars à thèmes et des orchestres de rue défilent en respectant un parcours. Des vidés se forment derrière les groupes et reprennent en chœur les chansons traditionnelles et les nouvelles créations du carnaval.
- Lundi gras : fête de l’inversion.
Des groupes à pieds sillonnent dès l’aube les quartiers et réveillent la population, incitant les gens à les suivre dans les vidés en pyjama.
Des femmes travesties en hommes défilent aux côtés d’hommes déguisés en femmes, de manière plus ou moins osée.
C’est le jour des mariages burlesques célébrés par Vaval. C’est l’une des manifestations du renversement des règles sociales pendant la période carnavalesque.
- Mardi gras : fête du rouge.
Les carnavaliers habillés de rouge et noir défilent aux côtés des diables rouges cornus, aux costumes recouverts de petits morceaux de miroirs disséminés, tout en faisant résonner les grelots qui ornent leur bonnet avec leur fourche.
- Mercredi des Cendres : c’est la fin du carnaval et le premier jour du carême. C’est une journée de deuil.
Les carnavaliers se parent de noir et blanc, ils pleurent la fin du carnaval, la mort du roi Vaval. Vaval accompagné de son cortège de diablesses est mené au bûcher où bouc-émissaire des tracas de l’année, il sera brûlé à la tombée de la nuit . Sa mort est même annoncée à la radio. Il renaîtra de ses cendres l’année suivante!
Les spécificités du carnaval en Martinique :
- On court le vidé:
Les gens défilent en sautant et en dansant dans les rues au son des instruments des musiciens qui jouent souvent au sein de groupes à pied : des orchestres costumés et mobiles composés essentiellement de percussions et de cuivres. D’autres jouent également du chacha (calebasse remplie de graines), de la conque de lambi ou du sifflet.
Le mot viendrait de l’expression » vider la salle », en référence à la pratique des artistes qui, après avoir passé la nuit à festoyer, devaient lever le camp en entraînant les fêtards dans la rue au son de leur musique.
- On sort des vieilles voitures arrangées pour la période de couleurs criardes, taguées ou couvertes de photos et sur le toit desquelles on peut voir une baignoire, un bwa-bwa ou des personnes.
Événement le plus populaire, le carnaval se prépare toute l’année dans les consciences antillaises. Que cela soit à travers des costumes ou des chansons… D’ailleurs, les chansons sont l’une des choses les plus importantes dans le carnaval. Certaines perdurent dans le temps et d’autres naissent chaque année, pour finir dans l’oubli à la fin de cet événement.
Entre défilés, bals et élections (élection de la reine du carnaval, carnaval des enfants…), ce rassemblement populaire est devenu au fil des siècles l’évènement culturel central de la vie antillaise.